Matin ou nuit, c’était la même chose. Toujours ce même couvre-feu, cette sirène insupportable qui signalait qu’il fallait rentrer, vite. Que se passait-il une fois que plus personne ne se déplaçait dans les rues sombres ? Nul doute que si les contes avaient encore existé, on aurait dit aux enfants que les ombres sortaient des ténèbres pour dévorer les gens innocents. La vérité n’était pas si éloignée de cette explication fantasque de toute manière. Adossé contre un mur froid, un adolescent observait les gens rentrer chez eux. Cette étrange manière de marcher, en file indienne. Un peu comme des animaux que l’on allait abattre et qui marchaient vers leur destinée sans rien comprendre. Quel spectacle repoussant. Yaren, caché par les ombres du bâtiments contre lequel il se trouvait, les regardait, une lueur mélangeant panique et colère dans ses pupilles sombres. Il détestait la foule, les gens, les fourmis qui marchaient pour se rendre à la ruche. Son dos se colla un peu plus contre le bitume froid tandis qu’il tentait de reculer. Cet enfermement dans cette ville, le fait que l’extérieur n’existait plus… Et tous ces gens, qui marchaient… Ça lui faisait peur. C’était effrayant de se dire à quel point le monde allait mal. Même s’il ne se souvenait pas d’avant, ça ne l’empêchait pas de détester ce système qu’il jugeait utopique. Ne pas savoir ce qu’était la liberté n’empêchait pas de vouloir lui courir après.
Sans aucun avertissement, il ramassa son cartable, après tout, il s’était juste posé contre ce mur après la fin de ces cours. Cet endroit le rendait malade. Ces gens allaient le rendre dingue. Ils étaient tous des membres du gouvernements, des pions sans liberté propre… Yaren ne pouvait pas supporter ça. Il leur lança un dernier regard avant de partir. Ou plutôt de changer d’endroit. On ne quittait pas cette ville, on ne pouvait que s’y perdre un peu plus chaque jour. Sa main se serra de manière inconsciente sur la poignée de cuir de l’objet dans lequel il n’avait quasiment rien. Après tout, il n’allait pas assez souvent en cours pour avoir besoin de beaucoup de matériel. L’école… Quel endroit effrayant. Et dénué de sens. Il n’avait pas besoin d’y aller pour savoir qu’on voulait qu’il soit un pantin. Sans compter qu’à chaque fois qu’il osait y mettre les pieds, le garçon s’attirait des ennuis. Quelqu’un avait du le maudire à jour… Ce jour-là, il n’avait pas vraiment subit quoi que se soit de bien embêtant. Juste quelques regards noirs et un coup dans l’épaule donné par un sale type qui avait un an de plus que lui. Décidément ‘No Talk’ n’était pas suffisant pour certains. Ils auraient aussi eu besoin qu’on leur impose de ne pas frapper. D’un autre côté, Yaren ne ressentait plus rien face à ces provocations idiotes. Il s’était contenté de frapper en retour, avant de fuir, pour éviter de s’attirer encore plus de problèmes. Tch, les autres étaient toujours les coupables mais on finissait par l’accuser. Tout cela parce qu’il était un des seuls à se rebeller un brin dans la stricte école.
L’adolescent shoota dans un cailloux, en colère rien qu’en repensant à cette injustice constante, avant de s’engager dans une petite rue, peu fréquentée. De toute manière, les gens étaient sensés avoir fini de rentrer chez eux, ou presque, à présent. Kiseki n’avait pas spécialement d’endroit où aller, mais subir les reproches de son frère pour son comportement et l’ambiance vide de l’appartement dans lequel il vivait l’empêchait de rentrer, pour l’instant. Et puis, ce n’était pas la première fois qu’il allait contre le règlement. Alors qu’il passait devant une des boutiques de la rue, un machin de bouquins du gouvernement ou quelque chose comme ça, son regard se porta sur une scène insolite. Ou peut-être trop habituelle. Après tout, les choses louches arrivaient facilement dans cette ville. Yaren fit en sorte de ne pas plus avancer, se serait bête de se faire encore repérer. A croire qu’il attirait les problèmes en ce moment tout de même.
Plus loin, à l’autre bout de la rue pratiquement, une personne était en train de se faire… Hum… Disons interroger. D’une façon un brin… Peu amicale ? Rien qui donnait envie à l’adolescent de s’approcher encore plus pour s’attirer des ennuis. D’un autre côté, son côté de sale gamin bagarreur lui criait de réagir un peu. Après tout, c’était un être humain qui était en train de subir le courroux de la justice. Il y avait de moins en moins de personnes libres, non-lobotomisées par le système. Et les dernières, on voulait les détruire… L’adolescent se vit à peine se rapprocher du groupe de quelques mètres, se baisser, ramasser une pierre, avant de se redresser et de la lancer, de toutes ses forces, à l’endroit où se trouvait la victime et ses bourreaux. Son geste n’était pas vraiment précis, à cause de la colère sans doute, mais s’il avait heurté le type qu’il visait, qui était un des hommes du gouvernement, nul doute que ça lui ferait mal.
"Hey ! Vous avez rien de mieux à faire ?!"
Et voilà. Ça devait arriver. La logique venait d’être cruellement écrasée par la colère. Et l’adolescent qui se tenait en plein milieu de la rue, tenant son cartable d’une main et qui toisait ceux qui allaient peut-être le tuer d’un air meurtrier ne semblait même pas se rendre compte de ce qu’il faisait. Baka Gaki qui ne comprenait pas encore son erreur.